Category Archives: antiquités

Sphaigne

Une jeune femme cède la place. Un gros garçon agressif et haut perché poursuit la balle. Le temps presse avant l’orage. Le type et le génie du crime profond. Cadre en tricot écossais. Une violoniste au dos de la main annoté. Un gant égaré. Une joue ronde portant le collier de trois jours. Un veilleur de nuit pas commode. Un journalier ôte sa casquette. Il serait vain de le suivre. Un jeune marié de groupe en groupe donne à chacun un instant. Un avis favorable. Mendiant indisposé que remplace un ami au pied levé. Une équipe adverse en prend à son aise. Le pilote d’une nacelle à coulisses, au bout d’un bras articulé et bandé de vérins, en actionne d’un doigt le moteur à explosion et passe en oscillant laver la vitre suivante. Dénouer ses cheveux pour avoir plus chaud. De profil, une femme enceinte ne porte pas à la bouche sa boisson. Continue reading Sphaigne

Cénacle

L’heure où je quittais ma chambre, il pouvait être dans les, c’était précisément l’aube, celle du solstice, il était près de six heures, il était près de six heures moins dix, la première fois, moins trois, la seconde, et sans jamais changer ce rythme. L’horloge de ma chambre marquait cette heure, approchait, dans l’escalier, la minute, puis la suivante dans le vestibule, mais la réserve avançait un peu.

Fort de ce gain, je prenais un jambon et puisais de l’eau dont je tendais la peau de l’outre indispensable, que posée sur l’épaule je presserais souvent, presque continûment, tant pour me désaltérer que pour évaluer la durée de ma course. Car la mastication se prête mal au même décompte, moins régulière, sujette au gras, à la couenne résistante, aux sels asséchants, quand la gourde offre quantité de repères fiables, son poids sur l’omoplate, l’inclinaison proportionnelle de la colonne vertébrale, l’effort moindre à fournir à mesure qu’elle se vide. J’aspirais, tous les cinq ou six pas, le contenu d’une joue, puis de l’autre, entre lesquels la pression de la gourde suffisait d’abord à entretenir un léger flux décroissant, jusqu’au tiers de mon chemin, dont le cours total connaissait aussi les marques de la miction, plus ou moins nombreuses selon la chaleur du jour. Je songeais à établir les rapports précis de cette clepsydre, du climat et de la distance parcourue, mais n’eus guère, comme on verra, l’occasion de me pencher sur le problème. J’eus toutefois très tôt confirmation de ce que l’état des reins et celui des glandes sudo-ripares de la peau, différemment concentrées, ne sont pas sans lien. Avec l’âge, chacun sait qu’on se couvre de poils et qu’on pisse moins souvent, d’autant moins souvent qu’on sue plus volontiers. Devenu bien vieillard, j’accomplissais d’une traite ma randonnée, d’ailleurs plus courte, parce que j’étais plus velu. Les haltes n’étaient plus que pour le plaisir, au-dessus de la calme vasque d’un ruisseau, pour la troubler brièvement, ou parmi les brebis et leurs petits, qui m’encourageaient de leur pathétique tremblement, me reconnaissant peut-être comme des leurs, parce que j’étais plus velu. Mais au plus fort de moi-même, je me savais infiniment supérieur à ces pauvres bêtes mutiques, pour la simple raison que ma propre transhumance, de toute éternité, avait été exactement réglée par l’exercice de mon intelligence, alors qu’elles n’étaient mues que par la passion aveugle du surcroît de nourriture.

Je marchais chaque jour deux outres, quand se présentait, l’hiver, ainsi défini, la possibilité de la remplir en route, d’autant plus longue que je m’évaporais moins.

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Bifide

Je me suis encore fait disputer. C’est pourtant bien simple, me martèle-t-on, je n’entends pas un traître mot de ce que tu dis. Bavasse, oui, mais avale ta salive, écarte tes dents, remue les lèvres, que sais-je, exerce-toi la langue, qui est un muscle, pour l’amour du ciel, au lieu de ce long clapotement monotone. L’exemple, pourtant, ne manque pas, songe au faucheux gracile, au tractopelle aux gestes déliés : à la harpe où courent des doigts. Et non, ce brouhaha plutôt, es-tu donc si nombreux ? On voudrait pousser la porte sur ce babil enfumé, avec un soupir de soulagement, fuir ton fracas de fourchettes et de mâchoires, on voudrait refermer ton capot. Mais il semble, adhésive clameur, que tu habites mon tympan, te loves jusque dans ma cochlée où, sans doute, tu prospères.

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Se gardent

Nous avons toujours été deux, dès le départ, toujours, auxquels venaient se joindre parfois d’autres contraintes à considérer, pour si peu de temps qu’on ne les compte pas. Ils ne nous accompagnaient pas dans notre voyage, nous avisaient ou nous dépassaient, ou se laissaient apercevoir, sur une autre route, sans approcher, sans saluer, les nu-tête autant que d’autres nés coiffés de plumes : le savoir-vivre le plus élémentaire indique pourtant avec insistance que les rencontres isolées doivent se saluer, fût-ce d’un regard d’intelligence, d’un signe du front, au premier chef par celui qui descend car, par la prééminence de son créneau, il est mieux à même de voir venir la randonnée de l’autre en contrebas, et de refaire route, car sa marche, quoique commencée plus tôt et chargée d’une plus grande fatigue, est à cette heure au relâchement, pour ne pas dire à la détente, et s’il est utile, pour une jambe courbatue, d’assurer fermement le pied posé à terre et à l’autre encore en l’air la perspective d’une assiette stable, il n’a nul autre soin qui l’empêche, tout à la légitime satisfaction du prochain refuge, d’encourager l’autre encore engagé dans une ascension pénible et vaine, et que menacent déjà l’orage et l’obscurité peuplée d’avalanches et de hurlements.

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La Chimie

Triptyque : Le Pas du vestibule – Propitiatoire – Anaérobie

Allons-y sans hésiter. C’est à deux pas, un par arrondissement. Mais tous ne se valent pas, choisissez le meilleur.

Après, quand vous aurez déposé sur l’honneur, on vous indiquera la marche à suivre, vers les objets trouvés probablement.

Je sors toujours tête nue, d’où ma démarche dandinée de spatule. Le chemin est désert, par bonheur, et ne compte que les administrés de mon ordre, indigne de la sieste, qui se croisent le nez sous le col, vu qu’ils sont comme des voleurs : imaginez une ombre errer dans nos rues glacées, la nuit, quand tous dorment, elle est en maraude, pas moins. Car ici, à l’heure du kief, le démon de midi pèse lourdement sur toute poitrine, et une douce et normale somnolence s’en empare, sauf moi, et mes pareils. La visière enfoncée d’un chapeau large ou d’une casquette m’aurait aidé à conserver mon sang-froid, quand l’incontournable sergent m’entrava le pas ; il s’y prit en connaisseur du tango, sa jambe droite entre mes jambes, le regard fixant le mien, il retroussa le mollet jusque sous sa cuisse entre mes jambes, avant de tourner plusieurs fois sur lui-même.

Un collègue jaloux approcha et le chassa si brusquement qu’il manqua de tomber sur les badauds qui pouvaient s’attrouper. Mais qui s’attroupe alors rôde. Il me prit par la taille, tira sur mon bras en m’incitant à l’imiter, tourne, disait-il, tourne. Le premier revenait, et ils se chamaillèrent. J’en profitai pour me couvrir et disparaître.

Après quelques détours, j’étais sûr de n’être plus suivi. Assuré du plus strict anonymat, j’attendis la fin à l’ombre. Les embrasures prenaient des formes, derrière les rideaux de perles de bois, de bandes plastique. Ils se levaient.

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