Cénacle

L’heure où je quittais ma chambre, il pouvait être dans les, c’était précisément l’aube, celle du solstice, il était près de six heures, il était près de six heures moins dix, la première fois, moins trois, la seconde, et sans jamais changer ce rythme. L’horloge de ma chambre marquait cette heure, approchait, dans l’escalier, la minute, puis la suivante dans le vestibule, mais la réserve avançait un peu.

Fort de ce gain, je prenais un jambon et puisais de l’eau dont je tendais la peau de l’outre indispensable, que posée sur l’épaule je presserais souvent, presque continûment, tant pour me désaltérer que pour évaluer la durée de ma course. Car la mastication se prête mal au même décompte, moins régulière, sujette au gras, à la couenne résistante, aux sels asséchants, quand la gourde offre quantité de repères fiables, son poids sur l’omoplate, l’inclinaison proportionnelle de la colonne vertébrale, l’effort moindre à fournir à mesure qu’elle se vide. J’aspirais, tous les cinq ou six pas, le contenu d’une joue, puis de l’autre, entre lesquels la pression de la gourde suffisait d’abord à entretenir un léger flux décroissant, jusqu’au tiers de mon chemin, dont le cours total connaissait aussi les marques de la miction, plus ou moins nombreuses selon la chaleur du jour. Je songeais à établir les rapports précis de cette clepsydre, du climat et de la distance parcourue, mais n’eus guère, comme on verra, l’occasion de me pencher sur le problème. J’eus toutefois très tôt confirmation de ce que l’état des reins et celui des glandes sudo-ripares de la peau, différemment concentrées, ne sont pas sans lien. Avec l’âge, chacun sait qu’on se couvre de poils et qu’on pisse moins souvent, d’autant moins souvent qu’on sue plus volontiers. Devenu bien vieillard, j’accomplissais d’une traite ma randonnée, d’ailleurs plus courte, parce que j’étais plus velu. Les haltes n’étaient plus que pour le plaisir, au-dessus de la calme vasque d’un ruisseau, pour la troubler brièvement, ou parmi les brebis et leurs petits, qui m’encourageaient de leur pathétique tremblement, me reconnaissant peut-être comme des leurs, parce que j’étais plus velu. Mais au plus fort de moi-même, je me savais infiniment supérieur à ces pauvres bêtes mutiques, pour la simple raison que ma propre transhumance, de toute éternité, avait été exactement réglée par l’exercice de mon intelligence, alors qu’elles n’étaient mues que par la passion aveugle du surcroît de nourriture.

Je marchais chaque jour deux outres, quand se présentait, l’hiver, ainsi défini, la possibilité de la remplir en route, d’autant plus longue que je m’évaporais moins.

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