Qui-vive ?

Paru chez Excès en septembre 2022, avec des œuvres de Virginie Piotrowski (couverture et pages intérieures).

Premières pages

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Qu’à présent ça finisse ou doive en finir pour bientôt, a dit Tavliev, même que ça soit en cours, depuis longtemps, ou depuis toujours, mais toujours plus vite, et que ça ne cessera pas d’accélérer croissant, maintenant ça ne fait rire personne, c’est l’idée fixe, c’est l’attraction ou le repoussoir de toutes les autres, la vieille laide idée, mais plus rire, il faut croire, et il a souri en froissant la feuille sèche qu’il avait choisie à ses pieds. Ça ne vient à l’idée de personne, a dit Tav, dit aussi le Borgne ou Maxillaire, pour la pommette arrachée entre les deux, Mou, pour la plèvre soufflée par la même grenade, Pentadactylos pour ce qu’il comptait de doigts ou Pédicure pour ses jambes restées entières. Il a chassé la poussière de sa paume qu’il a passée sur l’autre joue.

J’ai ouvert sur mes genoux mon cahier du jour. Il avait peut-être encore d’autres identités en creux, même d’autres états civils, j’aurai manqué de renseignements sur ce point, mais je n’aurais pas donné cher pour le savoir, une fois qu’il est assuré qu’il est bien question du même, il ne s’agit que de rendre compte de ses faits et gestes, aussi exhaustivement, à ce qu’il semble, que des miens, dès lors que la rencontre n’est plus due au hasard ou se prolonge significativement, conformé­ment à l’obligation légale qui m’avait été signifiée comme à tout sujet classé défense et quelle qu’en soit la raison, même indéterminée, de consigner intégrale­ment ses propres intentions, déclarations, comportements, voire agissements, ainsi que de toute personne s’en approchant de près ou de loin, autant qu’humainement possible, ça va de soi, en se laissant le temps, si ce n’est de vivre, du moins de vaquer à ses fonctions dites vitales, dont l’enregistrement n’est pas exigé, sauf affections chroniques, ainsi qu’à ses fonctions dites économiques, à ne retenir que dans leurs grandes lignes, le compte du détail étant tenu par les équipements qui conviennent, de même qu’aux fonctions dites répétitives, les petites habitudes, bonnes ou mauvaises, ne méritant qu’un aveu d’ensemble.

J’ai supposé que le voir sourire de la sorte n’était pas donné à tout le monde, je le lui ai rendu avec la même douceur, c’est-à-dire que j’ai voulu y mettre la même douceur, mais je n’ai pas répondu, je m’étais laissé descendre dans mon fauteuil en bas du parc pour être seul, je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un si loin des bâtiments. Il ne s’est pas donné la peine d’entrer en matière et n’a pas salué. Je l’ai d’abord pris pour un des maniaques qui ne manquaient pas dans le parc, à l’occasion.

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D’autres bonnes feuilles chez lundi matin.

Rencontre à la librairie EXC, passagère Molière, Paris, le 8 octobre 2022, avec Alphonse Clarou, Virginie Piotrowski, Sophie Wahnich et Cindy Coutant.

Image : Virginie Piotrowski, Sculpture de chantier 7, 2017, première de couverture du livre.

Il aurait dû paraître chez Inculte en 2019, et puis non.

De fortune

Paru chez lundi matin en juin 2021.

Pour clôture et bilan de l’exercice avant plus confus compte tenu des précipitations extra­ordinaires en haleine et qu’elles ne laissent à l’occupant qu’à occuper en général de force son coffre panique ou se figurer ramper dans ses gaines enrichies de bronzes de boudoir, de regards et de courants ouverts, jusqu’en façade aux capillaires perlant, méats simples ou bouches fortes donnant sur le bassin de boue et le ravinement à terme du coffre dehors, d’où se tenir sur ses gardes et dans l’attente avant repli, l’arc de chasse au poing, le manche de pioche, derrière la porte, derrière le fleuve jusque-là travaille. Continue reading De fortune

Bibliomasse

Paru chez lundimatin en juillet 2020.

on a, les a, les une longue histoire du temps, les a eus le grand éloge commun, le bref éloge pas paradoxal, eu encore le de quoi le ceci le cela est-il le nom, l’homo ceci cela, le ceci de cela, les le goût de cela, les le chapeau du chauve, du pauvre, les le chauve de rien, les le pléonasme de l’oxymore, l’occis du vif et le vice versa les plasmes à mort, on les a eus le siècle pastèque, un spectre hante la civilisation Continue reading Bibliomasse

nature-mortier

prendre son souffle chacun côte à côte dans le joint même du mur où ne pouvoir qu’avancer sans rouler, suivre, dedans, tout debout, ballant, piétinant en canard sans sortir un genou de l’aplomb, la tête concen­triquement alignée n’avalant que la colle qui tire déjà profond dans le mur, prend, pour souffle, le joint même, bouche à chantier sec, sale, propre, partout Continue reading nature-mortier

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le sur le point de se retourner, contre et dedans dehors, parlerait la langue de la voix de femme et d’homme, d’enfant, de vieille et de vieux ensemble au pied de la table du roc, du cours d’eau, tous le pied au lit du cours d’eau le plus proche, dans l’enherbé, le tenu par des saules ou des peupliers, l’abrupt à creux des racines, le gravier, les troncs, les branches tombées, le limon, les galets, le stérile, le presque, peu importe

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La Journée de π

De passage à Forcalquier l’hiver dernier, nous avons eu le privilège, avec quelques camarades, d’assister à la dernière leçon de Francisque Larche, l’illustre physicien, celui que nous regardons comme notre maître en toutes choses, notre oncle à tous, et que, depuis les premières que nous avons reçues de lui, nous n’appelons plus autrement que l’oncle Arche, ou plus simplement l’Oncle, prince de Lun, entre autres comman­deur des Palmes académiques, maître des Anagrammes, ami de l’Ordre et chevalier de la Légion d’honneur. Nous savons qu’il nous pardonnerait volontiers la petite imper­tinence de ce surnom, qui ne dit que notre plus profond respect et la familiarité d’une longue fréquentation. Il est d’ailleurs la modestie même et ne paraît jamais en public affublé de ses décorations. Certains d’entre nous ne pourraient en dire autant.

Nous l’avons en effet aperçu dans le Grand Hall, sur le point de passer dans la salle des Autorités, entouré d’assesseurs et de bouteilles d’eau. Il portait une chemise blanche très entrouverte, sa seule coquetterie, l’éternel complet de laine et les souliers ferrés. Toujours aussi athlétique et bronzé, toujours aussi souriant, il nous a paru légèrement tendu, moins à l’aise que d’habitude, et son sourire n’avait pas ce pli d’espièglerie que nous lui connaissions. Il ne participait pas à l’agitation autour de lui et répondait à peine à la conversation du producteur de l’événement, qui se multipliait en finesses et en consignes au personnel. Mais les lourds battants de la porte se sont refermés sur eux, et cette rapide apparition nous a laissés perplexes. L’entrée était libre, mais nous avions reçu tous les quatre une invitation personnelle et manuscrite. Nous nous attendions donc à une séance très spéciale, et la tension d’esprit qui se lisait sur son visage ne faisait que le confirmer. Il méditait à l’évidence une intervention mémo­rable, nous connaissions notre homme. La suite nous a donné raison. L’ultime leçon de Francisque Larche aura été extraordinaire en tous points, tant par la virtuosité de son approche, comme à son habitude, que par l’incroyable tour de force qui l’a terminée.

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Le texte complet en .pdf ici.

Il aurait dû paraître chez Inculte en 2019, et puis non.

Échantillon gratuit

J’ai sous les yeux une petite araignée descendue de son fil, un groupe de tracteurs et leurs outils, une lentille dépolie, d’autres travaux, les sept mille sollicitations du jour, simples couleurs, logos, jingles, quatre-par-trois roulants, quatre-par-trois lumineux des murs, des abribus, des bas-côtés. Les foins sont faits, le calme revient, l’andaineur et la presse à balles se replient. Je suspends un peu plus loin le fil et l’araignée. Je suis de retour. Le soir tombe. Des hommes circulent, stationnent, boivent un verre, gagnent une année de shopping, ne s’attardent pas, s’attardent, terrasse ombragée. La bouche du métro souffle son air sec jusque-là. J’accède au communiqué de presse en flashant le code. Une femme enceinte, bienheureuse en bas de pyjama, en débardeur trop court, le sourire vide, descend sur la place en soutenant des mains son ventre sans nombril. Elle n’a besoin que de choses bonnes et confortables. Je tiens dans mes mains mon ventre. Je tiens une carte d’état-major, je la modifie, déplace un tas de gravier. J’en étale au sol et nous marchons dessus, il nous rappelle un chemin. Je me tourne vers mes terres, d’un geste du bras, l’autre autour d’une épaule. Nous investissons dans le bonheur nature, une station familiale, un cadre de vie unique, un charme patrimonial, un financement authentique, un programme de gestion ski aux pieds, en pleine copropriété, construit sans compromis, le choix d’Ashton T. Staedter, basketteur professionnel, mon fils, notre priorité numéro un.
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Paru chez lundimatin en 2015 : 1, 2, 3.

Le texte complet en .pdf ici.